Quel rôle la forme d’une antenne peut jouer dans la reproduction ? le cas des insectes semi-aquatiques.
Il est généralement admis que le dimorphisme sexuel entre mâle et femelle est un avantage pour la reproduction. En effet, les bois des cerfs (Cervus elaphus) mâles sont un exemple d'une arme sexuellement dimorphique pour éliminer les concurrents lors de la conquête d’une femelle; ou bien la différence de plumage du moucherolle vermillon, chez qui la couleur rouge du mâle démontrerait sa capacité de survie, avantage non négligeable pour une partenaire.
Cependant, chez certaines espèces ce dimorphisme peut révéler un conflit pour des partenaires sexuels ayant des stratégies de reproduction tout à fait opposées. C’est ce qui se passe chez la patineuse (une sorte d’insecte qui vit à la surface d’eau) de la famille des Gerridés, Rheumatobates rileyi. Les mâles, plus portés vers l’accouplement que les femelles, utilisent des antennes en forme de crochet pour attraper puis immobiliser celles-ci lors des combats pré-copulatoires.
Abderrahman Khila de l’IGFL, avec ses collaborateurs des Universités McGill et Toronto, s’est intéressé à la structure et la fonction de ces antennes spécialisées, à l’identification des gènes qui sous-tendent leur apparition et leur évolution, et à leurs conséquences sur l’aptitude des mâles qui possèdent cet attribut.
En s’aidant de caméras à haute vitesse, de la technique de « flash-congélation » et de la microscopie électronique, ils ont pu montrer que les antennes du mâle se sont hautement spécialisées en outil de préhension pour saisir et immobiliser précisément la femelle au niveau de ses yeux, de sa tête et du premier segment thoracique.
L’analyse par pyro-sequencing du génome de R. rileyi a permis à A. Khila et ses collègues de déterminer que le gène distal-less (dll) était impliqué dans l’apparition du caractère «crochet agrippant» chez le mâle. Grâce à l’approche par RNAi ils ont même pu démontrer une corrélation entre l’expression du gène dll et la capacité du mâle à se reproduire. Moins dll est exprimé, moins l’antenne est spécialisée en crochet agrippant, et plus la femelle peut éjecter le mâle malgré ses assauts répétés.
Toute cette étude, mêlant des techniques aussi variées que la microscopie électronique, la biologie moléculaire ou encore l’éthologie, réalisée par A. Khila montre qu’un gène, bien qu’existant à la fois chez le mâle et la femelle du genre Rheumatobates, pouvait évoluer et présenter une nouvelle fonction responsable de la spécialisation de la forme des antennes en crochets exclusivement chez les mâles, augmentant par là-même leur capacités de s’assurer une partenaire de reproduction.
- “Function, developmental genetics, and fitness consequences of a sexually antagonistic trait”. Khila A, Abouheif E, Rowe L., Science. 2012 May 4;336(6081):585-9.
- "Chez l'araignée d'eau, la guerre des sexes passe par les antennes" (Le Monde)